Mar Benavides, Institut de recherche pour le développement (IRD)

L’ocĂ©an absorbe environ un tiers du CO₂ que les humains Ă©mettent dans l’atmosphĂšre, ce qui attĂ©nue le changement climatique et rend la vie possible sur Terre. Une grande partie de ce CO2 est consommĂ© par le phytoplancton, de petites crĂ©atures marines qui utilisent la lumiĂšre pour produire de la photosynthĂšse, comme les plantes et les arbres sur terre.

ParallĂšlement, ils transforment le CO2 en une matiĂšre organique qui produit environ la moitiĂ© de l’oxygĂšne que l’on respire. Le phytoplancton est la base de la chaĂźne alimentaire marine, et sa productivitĂ© n’affecte pas seulement les niveaux de CO2, mais Ă©galement la pĂȘche et l’économie mondiale.

Alors pourquoi le phytoplancton reste un inconnu pour la plupart d’entre nous, s’il est si important ? Essayez de le trouver la prochaine fois que vous visiterez un aquarium, vous risquez d’avoir du mal ! La plupart des espĂšces de phytoplancton sont 100 fois plus petites que les fourmis de votre jardin, ce qui signifie que vous aurez besoin d’une loupe trĂšs puissante (un microscope) pour pouvoir les Ă©tudier. De nos cĂŽtes jusqu’au milieu de l’ocĂ©an, le phytoplancton est trĂšs rĂ©pandu mais sa connaissance exige une certaine pratique de la mer.

Samaritains de l’ocĂ©an

Le phytoplancton a toutefois besoin d’un ingrĂ©dient clĂ© pour ĂȘtre actif : le nitrogĂšne. Tout comme les engrais ou les lĂ©gumineuses sont nĂ©cessaires pour faire pousser les cultures sur terre, l’azote fournit la valeur nutritive dont le phytoplancton a besoin pour se dĂ©velopper dans l’ocĂ©an. Mais il peut ĂȘtre difficile d’obtenir suffisamment d’azote dans le milieu marin. Les cĂŽtes reçoivent l’azote par le biais des riviĂšres ou des remontĂ©es d’eaux profondes riches en azote, mais la plus grande partie de l’ocĂ©an en est trop Ă©loignĂ©e pour bĂ©nĂ©ficier de ces sources.

Pour compliquer les choses, la surface de l’ocĂ©an tropical est chaude, ce qui rend trĂšs difficile le mĂ©lange avec les eaux profondes, riches en nutriments. Ces « dĂ©serts ocĂ©aniques » constituent de grandes Ă©tendues d’eau bleu clair et reprĂ©sentent [environ 60 % de la surface ocĂ©anique mondiale]. Comment la vie est-elle possible lĂ -bas sans azote ? Heureusement, d’autres minuscules crĂ©atures appelĂ©es « diazotrophes » existent aussi dans ces zones.

Les diazotrophes viennent Ă  la rescousse en accomplissant un service herculĂ©en : transformer l’azote inerte de l’air en formes azotĂ©es juteuses disponibles pour le phytoplancton. Cette transformation implique un grand investissement Ă©nergĂ©tique des diazotrophes, pour finir par donner cet azote Ă  la communautĂ©. Les diazotrophes sont ainsi les vĂ©ritables Samaritains de l’ocĂ©an.

Leur mission cruciale se trouve pourtant menacĂ©e par le changement climatique. La pollution, l’acidification, la perte d’oxygĂšne et le rĂ©chauffement font partie des effets nĂ©gatifs de notre dĂ©veloppement Ă©conomique et d’une croissance dĂ©mographique en constante augmentation. Le changement climatique affecte dĂ©jĂ  la quantitĂ© de nitrogĂšne qui atteint l’ocĂ©an en modifiant la circulation des courants, en augmentant la charge en azote de l’agriculture par les riviĂšres ou les apports atmosphĂ©riques des activitĂ©s industrielles.

Mais comment le changement climatique affectera-t-il l’activitĂ© et la diversitĂ© des diazotrophes ? Difficile Ă  dire puisqu’on ne connaĂźt ni leur nombre ni l’étendue de leur diversitĂ©. Seules cinq espĂšces ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es dans l’ocĂ©an, et les expĂ©riences de simulation du changement climatique n’ont Ă©tĂ© testĂ©es que sur deux d’entre elles. Les expĂ©ditions mondiales de circumnavigation ont rĂ©vĂ©lĂ© que les bactĂ©ries diazotrophes sont beaucoup plus variĂ©es que nous le pensions.

Un indispensable puits de CO₂

Notre projet scientifique Notion se penchera sur l’avenir du phytoplancton par le biais d’une lentille diazotrophe. En laboratoire, nous allons recrĂ©er les conditions du changement climatique et observer comment les diazotrophes y rĂ©agissent.

Nous allons rĂ©pondre Ă  des questions telles que : le CO2 supplĂ©mentaire prĂ©sent dans l’eau du fait du changement climatique affecte-t-il leur croissance ? Les diazotrophes donnent-elles encore plus d’azote « fertilisant » Ă  d’autres organismes dans un monde oĂč la teneur en CO2 est plus Ă©levĂ©e ?

Il existe dĂ©jĂ  des modĂšles globaux de la circulation ocĂ©anique et de la distribution des espĂšces de phytoplancton, mais ils doivent ĂȘtre complĂ©tĂ©s Ă  l’aide de donnĂ©es expĂ©rimentales afin de prĂ©dire Ă  quoi ressemblera notre ocĂ©an Ă  l’avenir. Le projet Notion intĂ©grera de nouvelles bases de donnĂ©es mondiales et expĂ©rimentales afin d’intĂ©grer les informations manquantes au sein des modĂšles. Nous transformerons ainsi la biologie en mathĂ©matiques, en utilisant le comportement de rĂ©ponse des diazotrophes comme tendances pouvant ĂȘtre projetĂ©es dans diffĂ©rents scĂ©narios de changement climatique futur.

GrĂące Ă  ces outils, nous espĂ©rons mieux comprendre comment l’ocĂ©an rĂ©agit au changement climatique. De telles connaissances seront essentielles pour une utilisation durable des Ă©tendues ocĂ©aniques et de leurs ressources, ainsi que pour Ă©valuer sa capacitĂ© Ă  demeurer un indispensable puits de CO2.


Le projet de recherche « Notion » dans lequel s’inscrit cette publication a bĂ©nĂ©ficiĂ© du soutien de la Fondation BNP Paribas dans le cadre du programme Climate and Biodiversity Initiative.

Cet article est republiĂ© Ă  partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.