SOL VIVANT : UN LEVIER ESSENTIEL POUR RÉUSSIR LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET RÉALISER UN DÉVELOPPEMENT DURABLE

Le sol est une composante des écosystÚmes essentielle à la vie sur Terre et notamment à notre alimentation. De nombreux processus et fonctions des écosystÚmes sont liés aux organismes vivants dans le sol, qui permettent ainsi la vie en surface. Cependant, malgré le fait que les sols abritent un quart des espÚces vivantes sur Terre, la vie du sol reste souvent maltraitée, méconnue, voire oubliée.

Cette lettre propose d’expliciter, Ă  quatre niveaux, son fonctionnement, ses atouts, ses risques et les actions nĂ©cessaires pour maintenir son bon Ă©tat :

📗Bien commun : comment cette ressource façonne notre planĂšte ?

đŸ‘©â€đŸŽ“Gestion publique :Les politiques publiques mises en Ɠuvre sont-elles adaptĂ©es pour leur prĂ©servation?

📚Au quotidien : comment chaque citoyen peut faire sa part ?

🏭 Dans les territoires : comment prĂ©server et restaurer la vie des sols agricoles et urbains ?

En brassant les dĂ©bris de la roche mĂšre, l’azote captĂ© dans l’atmosphĂšre et la matiĂšre organique, les « ouvriers Â» (faune, micro-organismes, champignons,
) du sol le fertilisent faute de quoi il serait un dĂ©sert aride. En outre la vie dans le sol est un Ă©cosystĂšme en soi qui joue un rĂŽle central dans la bonne santĂ© des autres Ă©cosystĂšmes car ils lui sont tous directement ou indirectement liĂ©s. Il s’agit lĂ  d’un puissant levier pour rĂ©aliser le dĂ©veloppement durable en milieu rural et urbain. Un sol sain est un bien commun universel. C’est une ressource Ă  protĂ©ger.

COMMENT CETTE RESSOURCE FAÇONNE LA PLANÈTE ?

La couche fertile du sol se situe dans les 20 Ă  40 premiers centimĂštres de la surface. Elle est le fruit d’un processus de transformation cyclique continue des minĂ©raux du sol, de l’air, de l’eau, de la vie vĂ©gĂ©tale et animale Ă  la surface de la terre.

La dynamique de ce mĂ©canisme est due Ă  l’activitĂ© de la faune du sol (carabes, fourmis, collemboles , vers . . .) et des micro-organismes (nĂ©matodes, bactĂ©ries,
.) qui y rĂ©sident. Ils transforment la matiĂšre organique (feuilles; cadavres,
) provenant de la surface, la roche puisĂ©e dans les profondeurs et l’azote captĂ© dans l’air.

Ils brassent tous ces Ă©lĂ©ments qui avec l’humiditĂ© du sol, constituent une « soupe Â» minĂ©rale (N azote, P phosphore, K potasse ) fertile qui nourrit les vĂ©gĂ©taux grĂące aux rĂ©seaux de distribution racinaires et le mycĂ©lium des champignons. En retour les plantes, Ă  l’issue de la photosynthĂšse, captent le CO2 contenu dans l’atmosphĂšre et le stockent dans le sol .
C’est ainsi que les sols remplissent des fonctions Ă©cologiques essentielles au maintien en bon Ă©tat des Ă©cosystĂšmes et Ă  leur capacitĂ© d’adaptation aux changements climatiques, par exemple la rĂ©tention, la circulation et l’infiltration de l’eau ou encore la rĂ©tention et la fourniture des nutriments aux vĂ©gĂ©taux.
Ces fonctions sont aussi indispensables Ă  l’humain pour rĂ©pondre Ă  ses besoins fondamentaux. On parle ainsi de « services Ă©cosystĂ©miques » rendus par les sols.
Des sols en bon Ă©tat constituent en effet la premiĂšre condition Ă  la production de notre alimentation et Ă  notre qualitĂ© de vie : ils apportent les nutriments et abritent les organismes grĂące auxquels pousse notre nourriture – en limitant Ă©galement maladies et ravageurs – ils contribuent Ă  la rĂ©gulation de la qualitĂ© de l’eau que l’on consomme.

Mais ils font l’objet de dĂ©gradations dues Ă  des pressions nombreuses et croissantes : urbanisation galopante (Ă  ce titre chaque heure 11 hectares de sols disparaissent en Europe du fait de l’expansion urbaine – la France en tĂȘte), demande alimentaire exponentielle ou dĂ©veloppement des usages de la biomasse en alternative aux ressources fossiles, Ă©rosions dues aux prĂ©cipitations
. .

Cette biodiversitĂ© est notre bien commun qu’il faut prĂ©server. C’est une ressource vitale pour la survie humaine car elle contrĂŽle les cycles nutritifs globaux sachant qu’elle dĂ©pend de la quantitĂ© et la qualitĂ© des organismes vivant dans le sol. Elle reprĂ©sente un formidable atout pour combattre le rĂ©chauffement climatique et rĂ©aliser la transition Ă©cologique.

LES POLITIQUES PUBLIQUES SONT-ELLES ADAPTÉES A LEUR PRÉSERVATION ?

En 1960 la France et l’Europe, notamment sous la houlette d’Edgar Pisani (cf interview), ministre de l’agriculture de l’époque, ont dĂ©veloppĂ© un modĂšle agricole productiviste pour rĂ©pondre aux besoins alimentaires dĂ©ficitaires du moment. Or il n’a que trĂšs peu Ă©voluĂ© depuis conduisant Ă  une dĂ©gradation continue de la biodiversitĂ© des sols notamment due aux intrants (pesticides, engrais, 
) et aux techniques de culture (labours profonds, piĂ©tinements, 
). Aujourd’hui pour faire face Ă  cette situation catastrophique l’Union europĂ©enne a pris conscience des enjeux. Elle s’est dotĂ©e en novembre 2021 d’une stratĂ©gie pour la protection des sols Ă  l’horizon 2030, dont les dĂ©clinaisons lĂ©gislatives devraient permettre d’offrir un cadre juridique aux sols au mĂȘme titre que l’air, l’eau et l’environnement marin.

L’ONU alerte aussi depuis longtemps la communautĂ© internationale sur la dĂ©gradation des sols et de la biodiversitĂ© et la nĂ©cessitĂ© de les restaurer. Elle a intĂ©grĂ© ce thĂšme dans ses objectifs du dĂ©veloppement durable (15 iĂšme ODD) et appelle les nations Ă  prendre soin des sols notamment pour combattre la dĂ©sertification et la sĂšcheresse.

La France a adoptĂ© le 22 aoĂ»t 2021 la loi « climat et rĂ©silience ». Elle renforce cette position. Elle insiste aussi sur le besoin d’indicateurs opĂ©rationnels de suivi des fonctions Ă©cologiques (hydriques, climatiques, biologiques) et du potentiel agronomique des sols en inscrivant dans la loi l’objectif de ZĂ©ro artificialisation nette Ă  l’horizon 2050 et la nĂ©cessitĂ© de suivre sa mise en Ɠuvre.

En dĂ©finitive les politiques publiques doivent mener deux grands chantiers : la restauration des sols agricoles dĂ©gradĂ©s et la rĂ©habilitation des sols urbains artificialisĂ©s. La prise de conscience est bien lĂ . Elle est clairement exprimĂ©e dans le rapport de synthĂšse sur l’environnement en France Ă©ditĂ© en 2019. Les rĂ©sultats se font attendre et des ONG attaquent en justice l’Europe pour ses dĂ©cisions discutables notamment en matiĂšre d’autorisation de pesticides. Les lobbystes y contribuent clairement. Pendant ce temps lĂ  les sols s’épuisent et rĂ©duisent leur capacitĂ© de rĂ©silience alors que les limites « vivables Â» de la planĂšte continuent de se dĂ©grader.

COMMENT CHAQUE CITOYEN PEUT FAIRE SA PART ?

La planĂšte est lĂ  aujourd’hui en attente de politiques de restauration de la vie des sols, efficaces et sur le long terme. La solution globale repose sur l’action de chacun dans sa zone d’influence personnelle, professionnelle et politique de telle sorte que les actions s’additionnent et soient Ă  la hauteur du dĂ©fi.

Au niveau personnel cela passe d’abord par l’éducation des jeunes ( cf rapport Jouzel) Ă  tous les niveaux de telle sorte qu’ils se sentent concernĂ©s, prĂ©parĂ©s aux bouleversements Ă  venir et par la suite unissent leurs efforts . Ainsi averti chaque citoyen adoptera au quotidien et en connaissance de cause les gestes appropriĂ©s. Par exemple recycler la matiĂšre organique dans le compostage mais aussi bannir l’utilisation de polluants (pesticides, insecticides, engrais de synthĂšse,
) sur les sols dans les activitĂ©s domestiques (entretien des jardins publics et privĂ©s, urbains ou ruraux, des espaces sportifs, 
.).

Au niveau professionnel la complexification croissante du mĂ©tier d’agriculteur nĂ©cessite une mise Ă  jour continue des connaissances. La recherche doit permettre Ă  tous les acteurs agricoles de disposer d’outils capables d’adapter les techniques Ă  chaque situation locale et d’appliquer les stratĂ©gies nationales par exemple le dĂ©ploiement du biocontrĂŽle pour rĂ©duire l’utilisation des produits phytosanitaires. Toutes les professions sont aussi concernĂ©es dans la mesure oĂč tous les Ă©cosystĂšmes sont directement ou indirectement liĂ©s aux sols. En particulier les dĂ©cideurs doivent cesser de voir la nature comme une source de profit au risque de la perdre prĂ©viennent les scientifiques de l’IPBES, le GIEC de la biodiversitĂ©.

Au niveau politique les citoyens se regroupent frĂ©quemment en associations pour dĂ©fendre l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral face aux lobbys qui reprĂ©sentent les intĂ©rĂȘts privĂ©s. Il s’agit de petites structures qui couvrent de multiples domaines autour de l’agriculture. On peut citer : Solagro et OSAE qui visent Ă  favoriser l’émergence et le dĂ©veloppement de pratiques et de procĂ©dĂ©s participant Ă  une gestion Ă©conome, solidaire et de long terme des ressources naturelles.

Il y a aussi les lanceurs d’alertes qui interviennent frĂ©quemment dans de nombreuses ONG. Les Ă©lites issues des grandes Ă©coles, se rebiffent contre le systĂšme existant « passif Â» et appellent Ă  la mobilisation. De mĂȘme les futurs chercheurs s’impliquent et souhaitent que la science serve les enjeux impĂ©rieux de ce siĂšcle. En consĂ©quence de grandes Ă©coles ont dĂ©jĂ  adaptĂ©s leurs programmes c’est qui est un premier rĂ©sultat encourageant.

De plus en plus de citoyens, en particulier les jeunes, s’engagent et souhaitent agir dans leur zone d’influence. Il y a là une lame de fond qui permet de penser qu’elle entraünera une frange toujours plus large de la population, des pouvoirs publics et des entreprises à faire aussi leur part .

COMMENT RESTAURER ET PRÉSERVER LA VIE DES SOLS AGRICOLES ET URBAINS ?

Dans les territoires deux défis sont à relever : la restauration des sols agricoles dégradés et la réhabilitation des sols urbains dégradés ou artificialisés.

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S’agissant de l’agriculture, nous avons vu dans le chapitre « biens communs Â» que l’augmentation de la teneur en matiĂšre organique constitue un levier majeur pour amĂ©liorer la santĂ© des sols Ă  condition que des intrants toxiques (pesticides, insecticides, engrais de synthĂšse, 
) ne dĂ©truisent pas la vie dans le sol. Pour ce faire de nombreuses pratiques connues y concourent : la prĂ©sence de prairies permanentes ou temporaires, le retour au sol d’une partie des rĂ©sidus de cultures, la rĂ©duction des pĂ©riodes de sol nu par l’introduction de couverts vĂ©gĂ©taux, l’apport de produits rĂ©siduaires organiques tels que du compost ou des dĂ©jections animales, des amĂ©nagements de luttes contre l’érosion comme les haies ou encore l’agroforesterie.

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En outre les sols mondiaux contiennent 2 Ă  3 fois plus de carbone que l’atmosphĂšre. Augmenter ce stock de +0,4 % par an ou 4 pour 1000 dans les 30 Ă  40 premiers centimĂštres du sol permettrait de stopper la quantitĂ© de CO2 dans l’atmosphĂšre, de stabiliser le climat et d’assurer la sĂ©curitĂ© alimentaire. C’est se que propose l’initiative 4 pour 1000 (cf vidĂ©o ci-contre) .

Des sols sains constituent donc un puissant atout pour réaliser un développement durable et les sols urbains peuvent y contribuer.

Depuis 30 ans, la France artificialise chaque annĂ©e entre 50 000 et 60 000 hectares soit l’équivalent d’un terrain de football toutes les sept minutes. ArrĂȘter cette hĂ©morragie des surfaces agricoles devient un impĂ©ratif pour l’amĂ©nagement du territoire. Les sols en milieu urbain sont plus ou moins dĂ©gradĂ©s et prĂ©sentent une grande diversitĂ© de situations inhĂ©rentes leurs usages antĂ©rieurs. Leur composition doit ĂȘtre rééquilibrĂ© en Ă©lĂ©ments minĂ©raux et matiĂšre organique pour qu’ils retrouvent leur fertilitĂ©. Ils doivent aussi ĂȘtre dĂ©polluĂ©s de matiĂšres diverses qui affectent la biodiversitĂ© et le fonctionnement biologique sachant qu’il existe de nombreuses mĂ©thodes pour ce faire . Elles consistent ( science des sols, gĂ©nie Ă©cologique, bioremĂ©diations, 
.) Ă  utiliser des micro-organismes, des champignons, des plantes ou des enzymes qui en dĂ©rivent pour rĂ©duire les teneurs en polluants et conduire Ă  une innocuitĂ© environnementale.

Au-delĂ  de la restauration des sols agricoles et de la rĂ©habilitation des sols urbains, diffĂ©rentes pistes d’amĂ©nagement du territoire sont envisageables pour promouvoir un dĂ©veloppement urbain plus durable. Il est par exemple possible de rĂ©investir et de densifier les zones dĂ©jĂ  bĂąties ou impermĂ©abilisĂ©es, de concevoir des architectures urbaines Ă©conomes en espace ou de prĂ©voir des modes de gestion diffĂ©renciĂ©e en recrĂ©ant des espaces verts afin de favoriser les continuitĂ©s Ă©cologiques et lutter contre les Ăźlots de chaleur urbains ou encore limiter les inondations. Ces sites reprĂ©sentent en effet de rĂ©elles opportunitĂ©s pour inscrire ces zones dans une trajectoire de sobriĂ©tĂ© et de rĂ©silience nĂ©cessaire Ă  l’atteinte de l’objectif de zĂ©ro artificialisation nette inscrit dans la loi climat et rĂ©silience d’aoĂ»t 2021